Hydrogène. Promesses et politisations des transitions énergétiques
Vocabulaire critique et spéculatif des transitions
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Hydrogène

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Promesses et politisations des transitions énergétiques

Rudy Amand

Introduction

Alors même que la notion de « transition » semble s’être imposée au détriment de termes au potentiel plus subversif (collectif de l’atelier d’écologie politique « Penser les transitions », 2021), il est tout à fait singulier de constater que c’est un ouvrage mettant en avant l’idée de « révolution » qui sert de référence majeure aux défenseurs de l’utilisation de l’hydrogène pour atténuer les effets de la crise climatique. Telle est pourtant la position occupée par La troisième révolution industrielle de Jeremy Rifkin (2012). Ce dernier envisageait que le passage aux énergies renouvelables, la transformation du parc immobilier en microcentrales énergétiques, le recours à l’hydrogène (ou d’autres techniques) pour stocker les énergies intermittentes, la transformation du réseau électrique en inter-réseau de partage s’inspirant d’Internet et l’utilisation de moyens de transport pouvant être branchés ou utilisant une pile à combustible, formeraient les cinq piliers de la « troisième révolution industrielle » (op. cit., p. 58-59). Ce projet global, certaines collectivités françaises ont cherché à se l’approprier en sollicitant Rifkin pour qu’il participe à des politiques locales encourageant de tels élans révolutionnaires. Ce fut le cas, par exemple, du département de la Manche qui invita le prospectiviste américain à présenter ses travaux en 2014 au moment où cette collectivité planchait sur l’élaboration de sa propre « feuille de route hydrogène » (Jammes, 2021). Cependant, cette collaboration n’a probablement pas été aussi intense que celle associant l’auteur du New Deal vert mondial (2019) et la Région Nord-Pas-de-Calais pour la définition d’un « Master Plan » [1] à l’origine de nombreux projets financés, entre autres, grâce à un livret d’épargne à destination des particuliers [2]. Outre ces exemples, ce sont tous les échelons territoriaux qui ont tenu à formaliser des plans visant au déploiement de l’hydrogène : l’Europe (A hydrogen strategy for a climate-neutral Europe, lancé en 2020), la France (Stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné, en 2020), ou la plupart des régions (Feuille de route hydrogène en Bourgogne Franche-Comté ; Plan hydrogène vert en Occitanie ; Plan Zero Emission Valley en Auvergne Rhône-Alpes ; etc.) devenues au fil du temps les chefs de file en matière de transition [3]. Il paraît tout à fait envisageable d’interpréter un tel succès à l’aune des perspectives de croissance économique et de gisements d’emplois non-délocalisables que l’hydrogène semble en mesure de pouvoir ouvrir (Franc et Matéo, 2015, p. 130-131). La mise en œuvre de tous ces plans pourrait-elle apparaître comme le symptôme de la perpétuation du « mythe de l’abondance énergétique », où la substitution des sources primaires d’énergie non renouvelables par le « vecteur » hydrogène [4] repousserait jusque dans les limbes toute référence explicite à la sobriété [5] qui, tout en étant un autre levier de la transition énergétique (Villalba, 2018), présente le risque de mettre à mal l’imaginaire associé à la croissance économique ? Alors, plutôt qu’à un agent révolutionnaire participant aux « transformations » de sociétés vacillantes soumises à la « contrainte écologique forte » (Nadaï et Wallenborn, 2019), l’hydrogène accompagnerait pleinement la trajectoire de transitions énergétiques réduites à leur seule dimension technique qui, du bois au charbon, du charbon au pétrole, du pétrole au nucléaire, ont choisi d’additionner les sources d’énergie (Fressoz, 2013) pour alimenter une course économique mortifère. Après une première partie servant à rappeler les principales caractéristiques de l’hydrogène, ses usages et le contexte de sa production, il s’agira ensuite d’identifier les conditions dans lesquelles ce vecteur énergétique est (ré)apparu comme une solution opérante dans le contexte d’une transition énergétique « institutionnelle » [6]. Enfin, il faudra mesurer les conséquences d’un tel changement de statut sur le plan symbolique.

L’hydrogène passé au présent

Figure 1. Capture d’écran issue du reportage réalisé par « Antenne 2 Midi » autour du prototype de Jean-Luc Perrier, 1979 [7]

Il surgit des années 1970 au volant de son véhicule. Quelques mots rédigés en lettres d’or se détachent de sa Simca 1000 vert bouteille dont les feux arrière esquissent deux soleils : « SOLEIL EAU MATÉRIEL » puis « Carburant Inépuisable Propre » et enfin « L’HYDROGÈNE et ses dérivés ». Jean-Luc Perrier sort de son véhicule, une télécommande à la main et referme son portail automatisé sous l’œil de la caméra. Cet enseignant de l’université catholique d’Angers ne semble pas peu fier d’expliquer la conversion d’un véhicule de série fonctionnant à l’essence en prototype mobilisant l’hydrogène, pour l’émission « Antenne 2 Midi ». Il soulève le capot pour décrire le système de tuyaux alimentant le moteur, ouvre la porte arrière où sa bouteille d’hydrogène est installée et finit par se positionner devant le véhicule avec une pancarte amovible « H2O » :

Grâce à l’hydrogène que nous trouvons dans la nature de façon extrêmement abondante, qui peut être séparé de l’oxygène [il fait tomber la lettre « O »], l’hydrogène est un combustible qui remplace le gaz naturel et qui peut être utilisé tout aussi bien pour le chauffage, que pour la locomotion, comme c’est le cas ici, et lorsque l’hydrogène qui est amené sous forme de bouteille, comme c’est le cas ici, se combine avec l’oxygène de l’air, exactement comme de l’essence, eh bien nous retrouvons l’énergie qui avait été au départ nécessaire pour séparer l’hydrogène de l’oxygène [il ramasse le « O » et reforme le « H2O » initial] (Jean-Luc Perrier, Reportage télévisé, juin 1979)

Jean-Luc Perrier n’hésite pas et engage tout son corps dans la démonstration. Il se penche et inspire une grande bouffée de vapeur d’eau qui sort directement du pot d’échappement, il place ensuite ses lunettes au même endroit pour prouver au monde entier que c’est bien la fameuse molécule H2O qui laisse une trace sur ses verres à la sortie de circuit [8]. Après avoir rappelé les modes de production d’hydrogène de l’époque, pétrole ou « gaz de hauts-fourneaux » entre autres, il évoque l’avenir en mentionnant d’abord le nucléaire, mais insiste sur le solaire en présentant « l’héliotrope » de son centre « héliotechnique », un mur solaire qui lui fournit l’électricité nécessaire à l’électrolyse de l’eau, procédé permettant d’isoler l’hydrogène.

Jean-Luc Perrier (1944-1981), un pionnier de l’hydrogène vert

Jean-Luc Perrier est décédé brutalement à l’âge de 37 ans dans un accident de la route. Cet évènement a donné lieu à un certain nombre de spéculations basées sur la divergence entre le caractère iconoclaste de ses travaux et la trajectoire du modèle énergétique qui se consolidait en France à l’époque autour du nucléaire. Mais cette thèse n’a jamais été étayée par des éléments précis : si certains évoquaient des lettres anonymes, aucune d’elles n’a jamais été retrouvée et sa veuve – qui a survécu à l’accident – n’en aurait elle-même jamais eu connaissance [9].

Dans la mesure où sa biographie reste à écrire, il est délicat de revenir avec précision sur le parcours de l’inventeur angevin. En s’appuyant sur la quatrième édition de son livre Énergie solaire et hydrogène. État actuel des applications (1981), on apprend néanmoins que Jean-Luc Perrier était « Professeur d’enseignement technique théorique à l’université catholique de l’Ouest » et qu’il se présentait également comme « Constructeur d’une station héliotechnique et d’un véhicule hydrogène » (op. cit., p. 3). Cet ouvrage constitue un véritable guide pour toutes celles et tous ceux qui s’intéressent à l’énergie solaire : l’auteur revient entre autres sur les capacités de celle-ci, les manières de la capter ou ses domaines d’applications. Il consacre une partie entière à la présentation de sa station héliotechnique – « l’Héliostat » – qu’il avait à l’époque installée chez lui à Villevêque (49) et en restitue l’ensemble des plans et toutes les mesures et données qu’il avait récoltées à son sujet. Une des originalités de son projet, c’est que ce dernier ne se limitait pas à la seule « autonomie pour le chauffage domestique » (ibid., p.299) : il comportait une dimension mobilité puisque sa station permettait également « de transformer l’eau en hydrogène et de l’utiliser directement comme carburant » (ibid., p. 282). Un an après la première mondiale de son four solaire en juin 1979, Jean-Luc Perrier creusait des trous dans son jardin dans le but de stocker l’hydrogène liquide – qui serait aujourd’hui qualifié de « vert » compte-tenu de son origine solaire – produit par son installation [10]. Pour compléter le projet, lui et Jean-Pierre Barrault, un ami garagiste, ont fabriqué un prototype automobile dont le fonctionnement reposait, dans un premier temps, sur de l’hydrogène fourni par Air Liquide – dans le but de se prémunir d’éventuelles critiques mettant en doute la composition du carburant utilisé – avant que celui provenant de l’Héliostat ne prenne le relais dans un second temps [11]. Même si ce programme bénéficiait d’un ancrage affirmé sur le territoire et mobilisait de nombreux acteurs locaux venus, à titre d’exemple, aider à l’édification de l’Héliostat ou à la fabrication du prototype automobile [12], il n’en était pas moins positionné en marge des institutions de recherche les plus traditionnelles. Aussi, le décès de Jean-Luc Perrier a-t-il conduit à l’arrêt de la dynamique qu’il avait contribué à initier. L’Héliostat a rejoint la cour du musée Sainte-Croix de Poitiers avant de déménager vers l’Institut universitaire de technologie de la même ville en 2004 sans jamais avoir été remis en service depuis [13].


Tableau 1. Éléments de comparaison entre les différents modes de production de l’hydrogène (2018) [14]

Mode de production Part dans la production Coût
(/kg)
Rejet
kg de CO2 par kg d’hydrogène
Dans le monde En France
Gaz naturel 44 % 40 % 1 à 2,5 € 12 kg
Hydrocarbures 25 % 40 % Dépendants des manières de produire
Charbon 30 % 14 % 1,5 à 3 € 19 kg
Électrolyse 1 % 6 % 3 à 12 € 0 kg

Une étrange contemporanéité émane du visionnage de ce reportage près de quarante ans après sa première diffusion : les propos tenus pourraient en effet se conjuguer au présent et entériner l’idée d’une perpétuelle itération en la matière. Il y a d’abord les choses qui ne peuvent pas changer (ou pas à l’échelle de l’humanité). Les atomes d’hydrogène représentent 75 % de la masse de l’univers observable. Cette abondance se double néanmoins d’un obstacle majeur : ces atomes sont quasi-systématiquement associés à d’autres atomes pour former un composé ou une substance chimique, à l’image de l’eau (H2O) – comme Jean-Luc Perrier l’illustrait – ou du méthane (CH4). Cette particularité explique pourquoi l’hydrogène ne peut être considéré comme une source primaire d’énergie – contrairement au pétrole ou au charbon – mais comme un vecteur énergétique : il est obtenu à partir de matières premières (l’eau par exemple) dont les molécules (hydrogène et oxygène) sont séparées grâce à un procédé technique (l’électrolyse) mobilisant généralement une autre source d’énergie (l’électricité) avant de fournir de l’énergie grâce à l’inversion du procédé (par le biais d’une pile à combustible par exemple [15]). Si l’électricité est issue d’une source d’énergie renouvelable (panneaux photovoltaïques, éoliennes, etc.), il s’agira d’un hydrogène qualifié de « vert ». Quand l’électricité provient d’une centrale nucléaire, il sera plutôt qualifié d’hydrogène « jaune » [16]. Cependant, à ce jour, 95 % de la production mondiale provient de combustibles fossiles incluant le vaporeformage du gaz naturel et la gazéification du charbon (Haut conseil pour le climat, 2021, p. 111) : c’est donc de l’hydrogène qualifié de « gris » qui, comme c’était déjà le cas en 1979, reste majoritairement produit. En matière d’hydrogène, il y a donc les choses qui demeurent alors même qu’elles auraient pu changer.

Tableau 2. Exemples de projets de la famille des « nouveaux » usages de l’hydrogène

Nouveaux usages de l’hydrogène Exemples de projet Porteurs Lieu Début
Mobilité Zero Emission Valley Région Auvergne Rhône-Alpes et la société Hympulsion (Engie) Auvergne Rhône-Alpes 2020
Injection dans les réseaux de gaz GRHYD Engie

Dunkerque
Hauts-de-France

2018
Stockage d’énergie Smart Autonomous Green Energy System EDF ; Powidian Cirque de Mafate
Île de la Réunion
2017

Les différents plans français en matière d’hydrogène [17] insistent fortement sur les « nouveaux » usages que ce dernier fait naître même s’ils n’ont pas tous, à l’aune du reportage de 1979, quelque chose de neuf : la mobilité (surtout pour les véhicules lourds), l’injection d’hydrogène dans les réseaux de gaz naturel ou le stockage d’énergie issue du renouvelable (tableau 2).

Figure 2. Capture d’écran du site internet Toyota présentant un véhicule fonctionnant à l’hydrogène [18]

Leur « nouveauté » semble surtout devoir être évaluée au regard des usages dits « traditionnels » qui concentrent la demande d’hydrogène et se situent à un niveau bien plus prosaïque que le mythe voulant en faire le carburant de véhicules – un prototype Simca 1000 ou des voitures beaucoup plus récentes (figure 2) – qui ne rejetteraient que quelques gouttes d’eau pour toute pollution. En effet, il faut rappeler que 96 % de l’hydrogène utilisé en France sert au raffinage de produits pétroliers, à la production d’ammoniac, à la chimie de base et à la métallurgie (figure 3). Ce sont ces secteurs qui concentrent les principaux enjeux liés au développement d’une filière d’hydrogène « vert » en France puisque leur « décarbonation » faciliterait le respect des engagements français en matière de climat [19]. Dans cette perspective, l’hydrogène, même issu de sources d’énergie renouvelable, agit comme un moteur de perpétuation des modes de vie : il est utilisé pour réduire la teneur en soufre du pétrole qui servira ensuite à alimenter les véhicules thermiques – fortement émetteur de gaz à effet de serre – ou bien à obtenir l’ammoniac nécessaire à la production d’engrais azotés dont les conséquences sur la biodiversité, la qualité de l’eau ou des sols sont documentés depuis de nombreuses années (Sutton, 2011). C’est le genre de choses que l’hydrogène autorise à ne pas changer.

Figure 3. Principaux usages de l’hydrogène [20]

L’hydrogène : la dépolitisation de la transition

Une des critiques majeures adressées aux travaux de Rifkin consiste à lui reprocher la perpétuation d’un imaginaire techniciste où la substitution d’une source (ou d’un vecteur) d’énergie à une autre garantirait des apports suffisants pour s’adapter aux nouvelles conditions imposées par le changement climatique, sans jamais remettre en cause, ou seulement de manière périphérique, styles et modes de vie (Villalba, 2018) [21]. Ainsi, en s’appuyant sur l’analyse du plan visant à appliquer les principes de la « 3e Révolution industrielle » à l’échelle du Nord-Pas-de-Calais [22] et sur sa mise en œuvre effective, Bruno Villalba (ibid.) met l’accent sur deux aspects. Il évoque, dans un premier temps, l’« euphémisation » de l’idée d’effondrement au fur et à mesure de l’exécution des programmes d’action et, dans un second temps, le déficit d’analyse associé aux « externalités négatives » des différentes solutions techniques employées. Deux points qui, associés aux tendances centralisatrices depuis longtemps perceptibles dans les projets concernant les énergies renouvelables (Rumpala, 2013) et à la place accordée à l’hydrogène « jaune » d’origine nucléaire dans la stratégie nationale présentée en septembre 2020 par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, et Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique [23], deviennent autant de coups portés au potentiel de transformations économiques, sociales et politiques mis en exergue par les principaux partisans de l’hydrogène. Dans cette optique, il peut être pertinent d’observer de plus près divers projets « hydrogène » développés au cours des dernières années en France [24].

Le premier s’appelle EAS-HyMOB et a associé la Région Normandie aux entreprises « Serfim » et « SymbioFCell » afin de créer un réseau de huit stations de recharge hydrogène sur le territoire en profitant notamment des financements européens [25]. Pour accueillir une station, les collectivités locales devaient garantir la présence de véhicules venant s’y ravitailler. Pour ce faire, elles devaient donc soit acheter elles-mêmes des véhicules ou bien solliciter des entreprises locales susceptibles de réaliser un tel investissement. Plusieurs points méritent une attention particulière ici. D’abord, le modèle de déploiement confirme le maintien d’un système centralisé cherchant à ne modifier que de manière marginale la « structure rythmique spécifique » de la société de l’automobile décrite par Gordon Walker (2019). Pour ce dernier, le rythme d’extraction, de transport et de stockage des combustibles fossiles, celui du ravitaillement et de l’autonomie des véhicules, celui de leur mouvement et, enfin, celui des émissions polluantes constituent les quatre catégories de rythmes caractéristiques de la société de l’automobile. Si, du fait de leur intermittence, les énergies renouvelables auraient pu radicalement transformer cette organisation rythmique, l’hydrogène, tel qu’il est utilisé dans le projet EAS-HyMOB, semble plutôt devoir participer à la reproduction du modèle fossilisé [26] puisque l’hydrogène « gris » utilisé aujourd’hui [27] est produit – « extrait » – en dehors du territoire avant d’être transporté vers des lieux de distribution reprenant les principes d’une station essence [28]. D’autres projets ont reproduit un modèle similaire. C’est le cas de « VHYCTOR » porté par MaHyTec qui a bénéficié d’un financement de la Région Bourgogne-Franche-Comté pour développer une station hydrogène [29] cherchant explicitement à reproduire le modèle des « stations essences d’aujourd’hui » [30] en transportant sur place de l’hydrogène résiduel produit par une seconde entreprise spécialisée dans la production de chlore [31]. Dans un tel cadre, l’évaluation de la pertinence de l’hydrogène s’effectue en fonction de la capacité des véhicules qui l’utilisent à assurer des déplacements similaires à ceux réalisés à bord de voitures fonctionnant à l’essence ou au gasoil tout en maintenant le temps de ravitaillement « habituel ». La seule différence significative semble devoir concerner le rythme associé aux émissions polluantes qui ne se situeraient plus directement à la sortie du pot d’échappement, mais plutôt au moment de la fabrication du véhicule, de la « fin de vie » de ce dernier ou, bien évidemment, lors de la production du combustible qui lui permet de se mouvoir [32].

Un autre aspect est remarquable ici : l’inversion entre les besoins et ce qui pourrait relever de l’ordre de leur satisfaction. Dans l’absolu, ces stations devraient être érigées là où des besoins spécifiques auraient pu être identifiés. Or, c’est bien le fait de « massifier la production » exprimé comme un mantra par les promoteurs du programme qui devient un besoin et la consommation d’hydrogène le moyen de le satisfaire (Amand, 2021). D’une certaine manière, EAS-HyMOB prend la forme d’un instrument au service de la « quête illimitée de la production maximale » (Audier, 2019, p. 78) qui témoigne de l’absence de rupture avec le projet productiviste et de mise en jeu politique de la transition.

Un second projet permet d’illustrer ce dernier point. Le 10 janvier 2022, un arrêté de la préfecture de Seine-Maritime autorisait l’exploitation d’une usine de production d’hydrogène par électrolyse de l’eau à Port-Jérôme – un site industriel situé entre Rouen et Le Havre – dans le but de répondre aux besoins des entreprises du secteur spécialisées dans la chimie et les hydrocarbures. Ce projet initialement baptisé « H2V » a pris le nom de « Air Liquide Normand’Hy » depuis octobre 2021, permettant d’établir un lien plus explicite avec le groupe devenu son seul actionnaire. Ce projet ne rencontre pas d’opposition particulière à l’échelle locale pour des raisons que les garants de la concertation menée sous l’égide de la Commission nationale du débat public ont plutôt bien identifiées :

Cette période de concertation-post témoigne d’une attente assez réduite du grand public, qui s’était déjà assez peu mobilisé durant la concertation, pour des motifs que nous avions tenté d’expliquer (zone déjà très industrialisée, projet ressenti comme allant dans le sens de la transition énergétique, perception du risque amoindrie dans une zone déjà saturée en sites Seveso…) et qui ne sont pas directement imputables au seul maître d’ouvrage. (Jarry et Bacholle, 2021, p. 22)

Dans la mesure où le débat ne porte que sur la production d’hydrogène sans que son utilisation finale ne soit évoquée, il faut admettre qu’il serait difficile d’aller à l’encontre d’un projet qui pourrait générer des emplois [33] tout en limitant les rejets de gaz à effet de serre dans l’atmosphère [34]. Que cela soit EAS-HyMOB, VHYCTOR ou le projet d’Air Liquide, ces projets semblent devoir assurer une « transition » technique vers des systèmes moins polluants pour limiter les effets de la crise climatique. Ils ne semblent jamais en mesure de permettre aux citoyens d’« habiter » la transition (Collectif de l’atelier d’écologie politique « Penser les transitions », art. cit.) grâce à un travail politique de « délibération collective » (Keucheyan, 2019) questionnant l’intérêt de maintenir une agriculture productiviste ou des infrastructures pour la voiture individuelle que l’hydrogène et sa production inviteraient à maintenir. Ces projets et la modalité de leur mise en débat semblent devoir empêcher tout travail citoyen de distinction entre besoins « authentiques » et « superflus » (ibid.) dans le cadre d’« amélioriations » [35] qui pourraient vivifier le projet de société et mettre à l’épreuve « l’unimonde » du système capitaliste (Collectif de l’atelier d’écologie politique « Penser les transitions », art. cit.).

L’hydrogène ou la domestication symbolique des transitions

L’invitation formulée par Salvador Juan de ne pas faire abstraction de la « force du symbolique » (Juan, 2022, p. 174) au moment de défendre sa vision de la « transition écologique et solidaire » s’applique également pour l’hydrogène qui apparaît comme l’instrument de la perpétuation des modes de vie et du projet moderne de croissance infinie.

Pour le comprendre, un détour par les travaux de Laurence Raineau (2011) paraît nécessaire. Cette dernière resitue les conséquences du développement des énergies renouvelables dans un cadre anthropologique. Elle démontre d’abord à quel point les opérations conduisant les énergies fossiles – pétrole, gaz, charbon – de leur lieu d’extraction à leur lieu d’usage contribuent à estomper leur appartenance à la sphère de la « nature » – dont elles sont pourtant bien issues – au profit d’un rapprochement avec le pôle de la « culture » – via leur disponibilité totale aux demandes sociales – dans un processus relevant de la « domestication ». Les énergies fossiles entrent alors parfaitement en adéquation avec le « naturalisme » (et sa division rigide entre les sphères de la nature et de la culture) associé aux sociétés occidentales contemporaines (Descola, 2005) en même temps qu’elles semblent tenir les promesses d’une modernité affranchissant les hommes des contingences de la nature. Mais, pour Raineau, ce schéma serait remis en cause par l’avènement des énergies renouvelables dans la mesure où, à l’image du vent ou du soleil, celles-ci ne peuvent être capturées comme le sont le pétrole ou le charbon. Sous cet angle, le recours aux énergies renouvelables contribuerait à brouiller des frontières anthropologiques bien établies et transformerait notre rapport au monde en introduisant une part de nature dans un ordre culturel vacillant. Quels changements l’utilisation de l’hydrogène apportent dans un tel schéma ?

Lorsque Rifkin fait de ce vecteur énergétique le fer de lance de la « Troisième Révolution industrielle  », il insiste sur sa complémentarité avec les sources d’énergie renouvelable qui conduirait inéluctablement au déclin des systèmes centralisés de production. Dans cette perspective, la force de l’hydrogène résiderait dans sa capacité à stocker le surplus d’électricité généré par l’éolien ou le solaire – sources d’énergie par essence intermittentes – pour le restituer au moment où ils ne sont plus en mesure de couvrir les besoins (le vent ne souffle pas toujours régulièrement et le soleil ne brille pas la nuit). Dès lors, l’hydrogène participe à la domestication des énergies renouvelables et son succès auprès des acteurs de la territorialisation de l’énergie doit être interprété à l’aune du réordonnancement anthropologique du monde qu’il alimente. En transformant les ressources du territoire (énergie solaire ou éolienne par exemple) en hydrogène, c’est à un nouvel exercice de domestication auquel il serait donné d’assister puisque les énergies renouvelables redeviendraient « contrôlables » et « programmables » (Raineau, op. cit., p. 139). Elles seraient en quelque sorte socialisées et adaptées à un système socio-technique énergétique pénétré par les logiques de la centralisation [36] et des schémas traditionnels dont il ne serait pas aisé de se défaire comme cela a été évoqué précédemment. Dès lors, après avoir été présenté par Rifkin comme un acteur subversif au service d’une révolution technique, économique, politique et sociale, l’hydrogène ne deviendrait-il pas un agent contre-révolutionnaire œuvrant à la perpétuation des modèles techniques les plus anciens et retardant le changement d’ère anthropologique promis par les énergies renouvelables ?

À peine Jean-Luc Perrier avait-il quitté le siège conducteur de son véhicule qu’il rappelait un élément essentiel permettant de comprendre le succès de l’hydrogène : son abondance (cf. supra). Alors que le productivisme semblait devoir se heurter de manière inéluctable aux limites de la biosphère nécessitant une régulation accrue des activités marchandes, l’abondance de l’hydrogène semble devoir offrir une réponse néo-libérale à cette problématique qui pourrait ralentir la course effrénée de la croissance économique (Meadows et al., 1972). Tout aussi puissant que les énergies fossiles, l’hydrogène tiendrait les promesses de la croissance et du développement infinis en repoussant les limites écologiques auxquelles celles-ci étaient censées se heurter. Ce récit qui s’esquisse forme l’exact opposé des « perspectives subversives » que Luc Semal et Bruno Villalba (2018) associent à la « sobriété » : il naturalise l’abondance par le biais du rappel systématique de la profusion de l’hydrogène dans l’univers ; il relègue l’ensemble des questionnements sur les inégalités naissant du partage des ressources dans un monde fini au profit du seul cadrage de la problématique en termes de santé publique ; en étant adossé au système socio-technique énergétique traditionnel, son potentiel de transformation politique est altéré comme tend à le démontrer l’absence de débats sur la nature des besoins que l’hydrogène pourrait être amené à satisfaire. Mais l’hydrogène, c’est encore plus que cela aux yeux de certains de ses promoteurs :

Avant le Big Bang, c’était que l’hydrogène. On revient aux sources. L’hydrogène est partout dans la nature. Certes, de façon composée, il faut pouvoir l’extraire, mais je pense qu’on est à une période charnière où on va redécouvrir le sens, finalement, des valeurs qui portent la création... que cela soit l’homme, la nature, le ciel, la terre... que sais-je ? […] Cette molécule est la seule qui soit partout. C’est notre ADN commun. Je peux me tromper, je n’en sais rien. Je suis peut-être un peu trop philosophe dans ma façon de voir les choses, mais j’y vois un élément de permanence qui mérite d’être exploré. C’est original. (Entretien avec le directeur général des services d’un syndicat d’énergie en charge d’une opération en lien avec l’hydrogène)

Les propos de cet interlocuteur ne sont pas seulement ceux d’un individu aux prises avec une nouvelle innovation dont il est par ailleurs chargé d’assurer la diffusion, l’hydrogène constitue la porte d’entrée vers une nouvelle relation unissant les sujets avec le monde. Cet élément chimique constitue, à ses yeux, la promesse d’une relation résonante (Rosa, 2018) : l’hydrogène semble l’interpeller et l’émouvoir, le transformer en même temps qu’il offre l’occasion à la société de se métamorphoser (la redécouverte des valeurs) tout en étant « indisponible » (puisque l’hydrogène doit être extrait). Cette indisponibilité, qui forme le cœur de la relation résonante s’établissant entre le sujet et le monde, n’en est pourtant pas moins insupportable. Alors que la croissance économique et « l’accélération » technique forment la matrice de la « stabilisation dynamique » des sociétés modernes (Rosa, 2010), seule la mise en disponibilité de l’hydrogène semble être une réaction rationnelle : dans un tel contexte, une ressource identifiée doit être exploitée et ce d’autant plus que l’urgence climatique constitue une raison morale à cette action. Là où la rupture anthropologique engendrée par les énergies renouvelables décrite par Raineau permettait de travailler à la « qualité de la relation au monde » plutôt qu’à « l’accès aux choses » comme l’appelle de ses vœux Hartmut Rosa (2018, p. 501), l’hydrogène promet d’atteindre ces deux objectifs a priori contradictoires en apparaissant à la fois comme un élément naturel fascinant et comme une ressource devant être nécessairement exploitée.

Conclusion

L’hydrogène n’a pas été redécouvert au tournant des années 2010 et 2020 puisqu’il a toujours été produit et introduit dans le processus de fabrication des carburants ou des engrais dont l’utilisation n’a pas été sans conséquence sur le climat et la biodiversité. C’est d’abord pour « décarboner » ces secteurs que les différents plans nationaux encourageant le développement d’une filière d’hydrogène « vert » semblent avoir été imaginés. Passer d’un hydrogène produit par le biais de gaz naturel, d’hydrocarbures ou de charbon à celui obtenu par électrolyse de l’eau grâce à une électricité issue de sources renouvelables s’accommode bien d’une transition énergétique purement technique qui ne nécessite pas de redéfinir le projet d’une société confrontée à ses propres limites écologiques. Même en ce qui concerne les nouveaux usages comme la mobilité, les projets semblent avoir pour seul but de stabiliser le système socio-technique énergétique en maintenant, autant que faire se peut, le principe de centralisation sur lequel celui-ci repose historiquement et qui ne correspond en rien au modèle de Jean-Luc Perrier qui produisait son hydrogène et avait lui-même bricolé son moteur dans une perspective tendant à en faire un outil « convivial » (Illich, 1973). C’est finalement un des tours de force des projets actuels en la matière. En effet, alors même que la «  Troisième révolution industrielle » rifkinienne s’appuyait exclusivement sur la décentralisation de la production d’énergie qui nécessitait de nouvelles formes de stockage du surplus généré, la traduction institutionnelle de ce projet global aura surtout servi à éliminer toute référence à cet aspect. Seul le caractère emblématique de la « Révolution » semble avoir été conservé. Il s’agit alors moins d’accompagner un bouleversement politique à venir, à faire naître ou à espérer qu’identifier ce qui s’apparenterait à une rupture technologique nourrissant le grand récit du progrès. De ce fait, cette « Révolution » contribue à maintenir l’idée du renouveau alors même que l’hydrogène garantit seulement la persistance d’un projet de société tourné vers le productivisme et jamais mis à l’épreuve par les citoyens [37]. Cette tendance ne peut être dissociée des représentations associées à l’hydrogène : c’est son abondance naturelle qui participe à la dépolitisation de la transition. Il est à la fois la promesse de continuité des modes de vie et une forme d’adaptation au contexte climatique, un objet de culture et de nature, une ressource et une relation, disponible et indisponible. L’hydrogène, petit à petit domestiqué tout en étant associé à la sphère de la nature, devient le pharmakos : celui par qui les transitions seront déchargées de tout leur potentiel politique subversif.

Notes

[3] Notamment depuis la promulgation de la loi sur la Nouvelle organisation territoriale de la République en 2015.
[4] Qui n’est pas lui-même une source primaire d’énergie et dont les modalités d’obtention sont régulièrement occultées.
[5] Qui apparaît parfois sous forme de rappel dans les rapports d’évaluation des politiques régionales en matière d’hydrogène : « Le CESER attire l’attention de la Région sur le fait que l’hydrogène doit être considéré comme un levier, parmi d’autres, pour contribuer à décarboner l’économie et réduire les émissions de GES, notamment avec l’électrification des process industriels et des mobilités d’une part, la sobriété et l’efficacité énergétiques, d’autre part. » (Granier et al., 2021, p. 24).
[6] Dans la mesure où elle est portée par des figures d’autorité politique et économique qui imposent un rôle défini à l’ensemble de la structure sociale (Gerth et Mills, 1964, p. 13).
[8] Une publicité pour un véhicule Hyundai renouvelle cette idée en raccordant un pot d’échappement d’un véhicule fonctionnant à l’hydrogène à une bulle fermée dans laquelle une personne fait de l’exercice sur un tapis de course. https://youtu.be/6F53LbDH9HY, consulté le 17 février 2022.
[10] Chartier Florent, « L’homme qui brilla trop », Le Courrier de l’Ouest, 18 octobre 2021, consulté le 7 avril 2022.
[11] Ibid.
[12] Ibid.
[14] Sia Partners, La filière hydrogène-énergie en France [en ligne], février 2020, disponible sur https://www.energylab.sia-partners.com/hydrogene-2020.
[15] Pile à combustible qui n’est pas utilisée par Jean-Luc Perrier pour son prototype, contrairement aux véhicules contemporains à prolongateur d’autonomie. Pour une histoire de la pile à combustible s’articulant surtout autour de la période 1950-1970, le lecteur peut se reporter au chapitre « Les piles à combustible » rédigé par Nicolas Simoncini dans l’ouvrage de François Jarrige et Alexis Vrignon (2020). Simoncini y démontre comment certains facteurs sociaux, économiques et politiques ont pu jouer sur le développement de cette technique dans le contexte français. Parmi eux, il y a bien sûr comment les travaux portant sur les piles à combustible ont été redirigés pour éviter de faire de l’ombre à la filière nucléaire, mais aussi la manière dont l’opinion américaine sur le sujet aurait facilité l’abandon de certains projets en France.
[16] En décembre 2021, la Commission européenne s’apprêtait à faire du nucléaire une énergie « verte » comme les autres. Cette décision permettra à la filière de bénéficier d’une part des 1 800 milliards d’euros prévus dans le cadre du «  Pacte vert pour l’Europe » pour encourager les initiatives visant à atteindre l’objectif de mettre fin aux émissions nettes de gaz à effet de serre d’ici à 2050. De facto, l’hydrogène produit à partir d’une source d’électricité nucléaire deviendra donc tout aussi vert que celui issu des énergies renouvelables.
[17] Le Plan de déploiement de l’hydrogène pour la transition énergétique de 2018 et la Stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné en France de 2020 par exemple.
[18] https://www.toyota.fr/new-cars/mirai/, consulté le 14 janvier 2022.
[19] La Stratégie Nationale Bas-Carbone propose d’atteindre la neutralité carbone pour 2050.
[20] Sia Partners, La filière hydrogène-énergie en France [en ligne], février 2020, disponible sur https://www.energylab.sia-partners.com/hydrogene-2020.
[21] Une telle critique pourrait être étendue à ceux qui considèrent plus récemment que l’hydrogène pourrait devenir le « nouveau pétrole » (Lepercq, 2019).
[22] Ce plan proposé par Jeremy Rifkin et ses collaborateurs a été formalisé après une demande conjointe exprimée par la Chambre de commerce et d’industrie et le Conseil régional.
[24] Une cartographie des projets est mise en ligne par France Hydrogène : https://vighy.france-hydrogene.org/cartographie-des-projets-et-stations/.
[25] Par le biais du programme d’infrastructure CEF-T (Connecting Europe Facility – Transports).
[26] Cette stabilité du système correspond finalement assez bien au modèle promu par Jean-Luc Perrier qui déclarait dans le reportage d’Antenne 2 déjà évoqué : « Si on peut fabriquer l’hydrogène avec l’énergie nucléaire ou, encore mieux avec l’énergie solaire, cela permettrait aux pays arabes d’avoir toujours un produit à nous vendre et pour nous d’avoir toujours un produit à consommer, de résoudre le problème énergétique d’une façon pratiquement infinie ».
[27] Peut-être sera-t-il « vert » demain, mais importé d’autres territoires spécialisés dans cette production. Des unités de production d’hydrogène vert commencent à voir le jour en France (« Lhyfe » en Vendée par exemple ; cf. https://www.ouest-france.fr/environnement/ecologie/transition-ecologique/vendee-inauguration-de-lhyfe-entreprise-qui-produit-de-l-hydrogene-vert-une-premiere-mondiale-53135dfa-21dc-11ec-836f-d71c06a87745). Elles symbolisent les velléités de maintien de la centralisation du modèle énergétique.
[28] Ce qui met à mal l’idée d’une « territorialisation » de l’énergie participant au renforcement du lien entretenu par « l’ensemble des composantes du territoire » avec la problématique énergétique (Ginelli et al., 2020, p. 2).
[29] MahyTec a par ailleurs remporté un appel d’offre lancé par cette même région pour équiper cinq lycées d’une station et d’un véhicule fonctionnant à l’hydrogène ayant pour but de sensibiliser la population aux usages du vecteur énergétique (https://www.bourgognefranchecomte.fr/lhydrogene-sinvite-au-lycee).
[32] Ce déplacement – qui s’apparente à un effacement – des pollutions contribue à la dépolitisation de l’hydrogène et de la question climatique. Cette tendance s’inscrit dans la continuité des invitations répétées faites au consommateur pour que ce dernier modifie marginalement ses pratiques dans le but de participer à l’effort collectif de préservation face à la catastrophe (en achetant un véhicule fonctionnant à l’hydrogène ici). Dans le même temps, c’est l’idée que cette dernière pourrait nécessiter une profonde remise en cause des modes de vie qui semble mise à distance (Comby, 2015).
[33] « À ce jour, il y a eu huit (8) questions posées via le site Internet de la concertation. Cinq d’entre elles sont des candidatures pour un éventuel emploi au sein de l’usine ou pour des formations en vue d’un recrutement. Une question concerne le calendrier prévu pour le démarrage de l’usine. Une autre porte sur les garanties d’origine renouvelable de l’électricité consommée. Enfin, la dernière interroge la possibilité de livraison d’hydrogène par camion. » (Jarry et Bacholle, op. cit., p. 14).
[34] Certains considèrent que la seule voie légitime pour l’hydrogène concerne les usages industriels dont il est question ici. En effet, compte tenu des pertes d’énergie associées au process allant de la production d’énergie à sa transformation puis son stockage sous forme d’hydrogène jusqu’à sa nouvelle conversion en énergie utilisable pour la mobilité par exemple, cette solution ne restituerait que 30 % de l’énergie initiale produite (Furfari, 2020).
[35] Terme qui permettrait d’évaluer et de questionner plus aisément les changements induits par l’hydrogène que celui de « progrès » (Audier, 2019, p. 751).
[36] Yannick Rumpala (op. cit.) rappelle que les acteurs industriels – cherchant à garantir leur place sur le marché – et les acteurs politiques ou institutionnels – voulant maintenir leurs prérogatives – participent au maintien des logiques centralisées dans le cadre du développement des énergies renouvelables.
[37] Ce que certains projets de recherche participative ont cherché à corriger (Lemarchand, 2021).

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Rudy Amand est docteur en sociologie de l’Université de Caen Normandie et membre associé du CERREV, il a publié : Hydrogène et transition énergétique - Analyse socio-anthropologique d’une trajectoire régionale, Paris, L’Harmattan, 2021.




Pour citer cet article
Rudy Amand
« Hydrogène. Promesses et politisations des transitions énergétiques », Vocabulaire critique et spéculatif des transitions [En ligne], mis en ligne le 04/05/2022, consulté le 06/10/2024. URL : https://vocabulairedestransitions.fr/article-23.